Voilà, c’est fait, les sapeurs-pompiers volontaires l’attendaient [1] : « leur » loi a été adoptée le 6 juillet par le Sénat dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale [2], ouvrant la voie à une prochaine promulgation.

La lecture du compte-rendu intégral des débats mis en ligne [3] est laborieuse — les sénateurs, pas plus que les députés, ne brillent, en règle générale, par leur concision — mais permet d’apporter un éclairage sur les enjeux du texte et sur les coulisses de la cuisine législative.

Bien évidemment, les orateurs ont rendu l’hommage nécessaire aux sapeurs-pompiers. Au-delà, nous avons relevé quelques points de discussion.

L’enjeu majeur : garder le sapeur-pompier volontaire hors du champ de la réglementation du travail pour éviter un effondrement du volontariat à la française

Selon Catherine Troendle, « plusieurs décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne ont soulevé la crainte d’une requalification du sapeur-pompier volontaire en travailleur et sa soumission, en conséquence, à la législation du travail, notamment pour ce qui concerne la durée du travail hebdomadaire. (...) l’organisation du secours s’en trouverait bouleversée et sérieusement affaiblie. »

C’est pour cette raison, selon Éric Doligé, que la loi adoptée « a pour objet essentiel de qualifier juridiquement l’activité des sapeurs-pompiers volontaires comme une activité exercée à titre non professionnel. Il s’agit d’éviter la requalification de celle-ci en activité salariale et, partant, l’application des règles européennes concernant le temps de travail, en particulier celle qui impose un temps de repos de onze heures entre deux périodes de travail, dit “repos de sécurité”, car sa mise en œuvre rendrait impossible le recours à des volontaires qui exercent par ailleurs une activité professionnelle, notamment ceux qui ont le double statut. »

De fait les sapeurs-pompiers ne pourraient pas enchaîner une activité professionnelle et une garde, ce qui obligerait à professionnaliser la plupart des effectifs. Une telle mesure « imposerait le recrutement de près de 61 000 sapeurs-pompiers professionnels, pour un coût global de 2,5 milliards d’euros » (Yvon Collin).

C’est ainsi qu’il faut comprendre la rédaction de l’article 1 de la loi adoptée [4] : « L’activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n’est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres. »

Cette absence de temps de repos entre activités volontaire et professionnelle est un facteur de risque professionnel, et d’insécurité juridique, comme l’ont fait remarquer certains sénateurs. Ainsi, quelle serait « la responsabilité du sapeur-pompier volontaire qui, étant retourné à son activité professionnelle au sortir d’une garde sans avoir bénéficié d’un temps de repos serait victime d’un accident du travail » ? (Roland Courteau) Cette question n’a pas reçu de réponse claire en séance.

Les volontaires sont-ils donc des bénévoles ?

Selon Roland Courteau, « le sapeur-pompier volontaire n’est ni fonctionnaire ni pur bénévole, son engagement n’est ni professionnel ni associatif. » On voit là l’embarras du législateur qui a bien du mal à qualifier l’activité du volontaire si ce n’est en disant ce qu’elle n’est pas. Ainsi le volontaire n’est pas un bénévole non plus, en tout cas pas « pur ». Même si certains sénateurs se risquent à utiliser le mot de bénévole, ils tombent vite dans la contradiction, comme Éliane Assassi qui affirme que les volontaires exercent une activité bénévole assortie de garanties financières. Lesquelles coûtent en moyenne 2000 € par an aux SDIS [5], selon Marc Laffineur [6]. On note que la loi adoptée remplace le terme de « vacation », contrepartie d’un travail, par le terme « indemnité », c’est-à-dire la compensation d’un préjudice (dont on ne connaît pas exactement la nature d’ailleurs). Ces contorsions langagières laissent imaginer que même si la loi affirme que le volontariat est exercé selon des « conditions qui lui sont propres », cela ne suffira pas à lever bien des ambiguïtés sur sa nature.

L’État, passager clandestin de la sécurité civile

Plusieurs sénateurs ont rappelé que l’État impose les règles de sécurité civile, mais ne participe plus financièrement à leur mise en œuvre. « La mission “Sécurité civile” ne représente que 0,15 % du total des dépenses du budget de l’État », indique Éliane Assassi. En effet, le budget de fonctionnement des SDIS est supporté par les départements. Or, « quand un problème important survient dans un département, ce n’est pas le président du service départemental d’incendie et de secours qui est mis en avant ! C’est toujours le préfet ou le secrétaire général de la préfecture, qui représentent l’État » (François Fortassin).

La crise de vocation et ses solutions incantatoires

Le volontariat est en crise dans la mesure où le recrutement et la fidélité des sapeurs-pompiers volontaires diminuent année après année. Pour l’expliquer, certains sénateurs n’hésitent pas à avancer une « crise de la vocation ». On peut sérieusement s’interroger sur la réalité sociale de cette hypothèse, mais on commence à franchement sourire en lisant certaines solutions proposées. Ainsi Roland Courteau veut développer une « vraie culture du volontariat », mettant tour à tour à contribution l’école, l’armée avec la JAPD [7], et la télévision. Gageons que les piliers du Café du commerce pourraient utilement participer à enrichir cet inventaire incantatoire de solutions immédiates.

Plus sérieusement, pour Jean-Claude Peyronnet, « le volontariat diminue (...) parce que, même s’il existe toujours des personnes dévouées, des raisons objectives rendent le recrutement de plus en plus difficile : il n’y a plus d’artisans ou de commerçants et les entreprises sont réticentes à lâcher leurs employés. » Ceci vaut dans les zones rurales et les banlieues, qui sont précisément celles où les volontaires interviennent préférentiellement.

Face à ces difficultés, la loi a adopté plusieurs mesures plus ou moins attractives en vue de favoriser le volontariat.

La revalorisation de l’allocation de vétérance, fausse bonne idée adoptée à l’unanimité

La seule mesure d’incitation financière prévue par la loi est la possibilité pour les départements d’augmenter l’allocation de vétérance des anciens sapeurs-pompiers. Philippe Adnot ne croit pas à son efficacité : « Qui peut croire vraiment qu’en majorant la retraite des sapeurs-pompiers volontaires, on va faire augmenter le flux de nouveaux sapeurs-pompiers volontaires ? Quel prétexte ! C’est à se tordre de rire ! (...) croyez-vous que la perspective d’avoir une meilleure retraite au bout de vingt ans fera revenir sur leur décision les sapeurs-pompiers qui arrêtent aujourd’hui au bout de huit ou neuf ans ? Les choses ne se passent pas ainsi ! Pas un seul n’y pense quand il arrête au bout de huit ou de neuf ans ! Si vous voulez avoir plus de sapeurs-pompiers volontaires et les garder plus longtemps, il faut les intéresser autrement, d’une manière plus intelligente, plus concrète. » Pire, il craint que cela n’aie pour effet pervers de diminuer le nombre de volontaires. En effet, là où les communes financent un CPI [8], elles pourraient décider, face à la charge financière nouvelle considérable que représente la revalorisation de l’allocation, de fermer purement et simplement le centre pour y échapper.

D’autres sénateurs expriment de sérieuses réserves sur cette mesure et souhaiteraient l’amender. Éric Doligé évoque l’appui de présidents de Conseil général. Mais il regrette que ceux qui l’ont « poussé à défendre en leur nom cette position ne sont plus là pour me soutenir : entre-temps, ils ont reçu des appels du monde des sapeurs-pompiers les invitant à se rétracter. »

Cachez ces travailleurs handicapés que je ne saurais voir

Bien que cela soit sans rapport direct avec le texte discuté, Pierre Bordier a évoqué la législation en vigueur qui impose un taux d’embauche minimal de travailleurs handicapés à hauteur de 6 % dans les entreprises.

Selon lui, « il convient de s’interroger sur une telle contrainte lorsque l’exercice de certaines activités, telles que celle de sapeur-pompier, requiert à l’évidence de satisfaire à des critères médicaux très exigeants. Cette condition, bien naturelle, représente néanmoins un obstacle indéniable à l’embauche de personnels handicapés. » Et il demande que les SDIS n’y soient plus soumis, alors même que leurs obligations en la matière sont déjà allégées puisqu’ils peuvent compter dans l’effectif des travailleurs handicapés « les sapeurs-pompiers professionnels bénéficiant d’une affectation non opérationnelle pour inaptitude médicale en sus de ceux bénéficiant des projets de fin de carrière. »

On laissera chacun apprécier, mais cela représente seulement en moyenne une quinzaine de travailleurs reconnus handicapés par département qu’il serait nécessaire d’employer dans les SDIS. Ils pourraient occuper nombre d’emplois non opérationnels. Difficile de prétendre promouvoir l’engagement citoyen quand l’institution n’est pas elle-même exemplaire.

Notes

[1Voir le communiqué de la FNSP : http://www.pompiers.fr/index.php?id...

[3Sénat, séance du 6 juillet 2011 http://www.senat.fr/seances/s201107...

[4Proposition de loi relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique. (Texte définitif) http://www.senat.fr/petite-loi-amel...

[5SDIS : service départemental d’incendie et de secours

[6Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Défense et des Anciens Combattants, représentant le gouvernement en séance.

[7JAPD : journée d’appel et de préparation à la Défense

[8CPI : centre de première intervention

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