Les députés ont voté à l’unanimité la proposition de loi relative au défibrillateur cardiaque (n° 4015) [1]. C’était pourtant mal parti. On se souvient qu’en Commission, les parlementaires de gauche avaient dans un premier temps [2] rejeté l’idée d’une exigence d’équipement en défibrillateur. Ils avaient en revanche adopté le projet de rendre obligatoire l’initiation au défibrillateur en milieu scolaire. Nous le déplorions, car cette obligation existe déjà.

Les membres de l’Assemblée nationale lisent-ils secourisme.net ? C’est peu probable. Pourtant les débats du 13 octobre ont permis de renverser la situation. Les députés ont abandonné l’obligation scolaire redondante, tandis qu’ils ont voté l’exigence d’équiper certains établissements recevant du public (ERP). Cerise sur le gâteau, ils ont prévu la création d’une base de données publique sur la localisation des défibrillateurs. Ce sera un grand progrès, car il faut rappeler qu’à ce jour seuls des opérateurs privés possèdent ces données, ce qui pose des problèmes que nous avions dénoncés dans une précédente brève [3]. L’aggravation des sanctions en cas de vol de défibrillateur n’a pas été retenue, car les peines prévues sont déjà considérées comme suffisantes [4].

Tout cela a pu se faire grâce au travail du député Jean-Pierre Decool, auquel il faut rendre hommage. Il faut également remarquer que le gouvernement a fait avancer le texte. Evitant toute querelle partisane, il apporté des amendements utiles et a pu compter sur la discipline de sa majorité parlementaire, alors qu’elle avait été réticente en Commission.

En séance plénière, les débats [5] ont été correctement argumentés. Même si certains points sont discutables, les erreurs grossières et un peu ridicules exprimées en Commission ont été cette fois évitées, et les grandes lignes de la problématique en question ont fait l’objet d’échanges de bonne tenue. Reprenons ici les principales décisions.

La formation en milieu scolaire est déjà obligatoire, elle n’est pas reprise dans la nouvelle rédaction de la proposition de loi

Le gouvernement a rappelé, comme nous le faisons régulièrement dans notre dossier consacré à la question [6], que la formation en milieu scolaire est déjà obligatoire. En effet la loi du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, a notamment prévu la délivrance d’un cours d’apprentissage sur les premiers gestes de secours aux élèves des collèges et des lycées. Par ailleurs, la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile impose que chaque élève bénéficie, dans le cadre de sa scolarité obligatoire, d’une sensibilisation à la prévention des risques et aux missions des services de secours, ainsi que d’un apprentissage des gestes élémentaires de premiers secours. Enfin, le décret du 11 janvier 2006 prévoit qu’à l’issue du collège, au plus tard, les jeunes disposent de l’attestation de formation, qui inclut notamment l’usage d’un défibrillateur automatisé externe.

Selon Pascale Boistard, représentante du gouvernement, actuellement, 7 000 formateurs en PSC1 assurent actuellement la formation de 30 % d’élèves et de personnels de l’éducation. Afin d’augmenter ce pourcentage, il est envisagé de faire passer le nombre de formateurs à 10 000.

Comme nous l’avions écrit, ajouter une nouvelle obligation dans ce domaine serait improductif. Ce qu’il faut maintenant, ce sont des moyens, comme le faisait remarquer un de nos lecteurs dans un commentaire [7].

Les défibrillateurs rendus obligatoires dans les établissements recevant du public, mais pas dans les zones résidentielles ni sur le lieu de travail

Le député Julien Dive fait remarquer qu’en France « vous avez aussi, par exemple, plus de chances de survivre à un arrêt cardiaque dans un avion que dans la rue ! En moyenne, les chances sont de l’ordre de 17 % en vol, contre 3 % au sol. » Philippe Folliot rappelle la grande hétérogénéité de la répartition des défibrillateurs sur le territoire : « l’équipement en défibrillateur entièrement automatique varie ainsi de 5 à près de 4 000 pour 100 000 habitants. » Or le taux survie à un arrêt cardiaque est liée à la densité en défibrillateurs [8]. Cela justifie d’en augmenter le nombre et d’assurer une répartition plus homogène.

Philippe Folliot ajoute que « seuls 15 % des stades français sont équipés d’un défibrillateur. » Or Gérard Sebaoun indique que « les trois sports qui entraînent le plus grand nombre de cas de morts subites dans notre pays sont le cyclisme, pratiqué par beaucoup de Français, la course à pied et le football. L’immense majorité de ces morts subites – 95 % – concernent des hommes, dont la moitié ont moins de 45 ans, et seulement 30 ans pour les footballeurs et les basketteurs. »

L’amendement adopté est ainsi rédigé :

Un décret en Conseil d’État détermine les types et catégories d’établissement recevant du public qui sont tenus de s’équiper d’un défibrillateur automatisé externe visible et facile d’accès, ainsi que les modalités d’application de cette obligation.

Lorsqu’un même site accueille plusieurs établissements recevant du public, ces derniers peuvent mettre en commun un défibrillateur automatisé externe.

Pascale Boistard, secrétaire d’État représentant le gouvernement, précise que « le décret d’application pourra ainsi viser les centres commerciaux, les administrations ou les enceintes sportives. »

Malheureusement, le gouvernement n’a pas voulu étendre cette obligation aux zones résidentielles. Pourtant, pour Jean-Pierre Decool, « Les immeubles d’habitation à usage collectif pourraient également en être équipés. Cette disposition paraît d’autant plus importante que 70 % des arrêts cardiaques se produisent au domicile des personnes. » Mais pour le gouvernement, une telle mesure implique une « concertation préalable avec les acteurs du secteur tels que les associations de bailleurs privés ou publics et les associations de propriétaires ou de locataires. »

Pour Pierre Morel-A-L’Huissier, « pour ce qui est du lieu de travail, il est assez surprenant que l’employeur soit soumis à une obligation générale de sécurité de ses salariés et que la présence de matériel de premier secours soit obligatoire, sans que celle d’un défibrillateur le soit pour autant. » Cette remarque judicieuse n’a néanmoins pas été reprise dans le nouveau texte de la proposition de loi.

Maintenance obligatoire uniquement si le défibrillateur est installé dans un ERP visé par l’obligation d’installation

Les députés ont rendu obligatoire la maintenance des défibrillateurs et de leurs accessoires par leur propriétaire, mais uniquement lorsqu’ils sont installés dans un ERP en application de la nouvelle obligation. Dans ce cas, la maintenance doit se conformer aux dispositions de l’article L. 5212-1 du code de la santé publique [9].

Les défibrillateurs installés volontairement ne sont pas explicitement soumis à cette obligation. Ceux qui sont en libre accès sur la voie publique seront donc dispensés de cette obligation, et il faudra compter sur la bonne volonté de leur acquéreur pour les entretenir, comme c’est le cas actuellement. Julien Dive suggère que pour ces derniers, une application de crowdsourcing pourrait être créée pour signaler les machines en panne : il imagine « une application smartphone ou un site internet, grâce auquel chaque citoyen pourrait signaler en temps réel l’état d’un défibrillateur installé à un endroit donné ». Pourquoi pas ?

Création d’une base de données nationale

Une base nationale de données relatives aux lieux d’implantation des défibrillateurs cardiaques automatisés externes dans l’ensemble du territoire sera créée. Pour le gouvernement, « cela est essentiel pour deux raisons : tout d’abord, elle permet à tous, en particulier aux services d’aide médicale urgente et aux centres de traitement des appels des services d’incendie et de secours, de géolocaliser les défibrillateurs automatisés externes à proximité du lieu d’un arrêt cardiaque, permettant ainsi à la personne qui appelle ces services d’utiliser le défibrillateur conjointement aux gestes de secours. Elle facilite par ailleurs les opérations de maintenance de ces dispositifs médicaux. »

Il est également prévu que la base soit ouverte, et donc placée dans le cadre de l’open data. La secrétaire d’état a précisé que « la base nationale doit être accessible aux opérateurs publics et privés pour faciliter l’accès de la population à ces appareils en cas d’urgence. » C’est un véritable progrès, car la base nationale maintenue par l’association Arlod dans le cadre d’une expérimentation du ministère de la santé n’est accessible qu’aux SAMU, ce que nous dénonçons régulièrement.

Le texte adopté est ainsi rédigé :

Il est créé une base de données nationale relative aux lieux d’implantation et à l’accessibilité des défibrillateurs automatisés externes sur l’ensemble du territoire, constituée au moyen des informations fournies par les exploitants de ces appareils à un organisme désigné par décret pour la gestion, l’exploitation et la mise à disposition de ces données. Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe les informations devant être fournies par les exploitants ainsi que les modalités de leur transmission.

Le processus législatif doit se poursuivre

L’adoption de la proposition de loi à l’Assemblée nationale est une étape importante dans le processus législatif. Néanmoins le texte modifié [10] doit maintenant être examiné au Sénat. Nous ne pouvons qu’espérer qu’il soit repris dans les mêmes termes, afin de permettre une conclusion rapide.

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Obligation d’équipement en défibrillateur : proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale

15 décembre 2016 par Yann KACENELEN

Avez-vous une idée de l’identité du futur "organisme désigné par décret pour la gestion, l’exploitation et la mise à disposition de ces données" ? Peu de chances qu’il s’agisse d’une association loi 1901 ou d’une autre à but lucratif (suivez mes regards)... Etalab ? Le GCS Sesan qui versera in fine dans data.gouv.fr ?

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